« Dois-je partir ? »
Sara Brajbart-Zajtman
Co-présidente du Collectif Dialogue & Partage
Le clip vidéo « Je suis Belge. Je suis Juive aussi. Dois-je partir ? » a fait le buzz pendant la semaine de congé de carnaval. (1) On relève près de trente passages dans les médias écrits et audio-visuels. L’accueil a cependant connu des ratés. En effet, le clip fut d’emblée interprété comme une réponse positive à l’appel du Premier Ministre israélien, engageant les Juifs de Belgique, de France et d’Europe à aller s’installer en Israël. Pourtant, le clip a été tourné avant cet appel. Il ne dit ni que l’on part, ni ne parle d’Israël ! Le clip se limite à exprimer une inquiétude largement partagée. Alors qu’il est coutumier de dire « deux Juifs, trois opinions » pour exprimer la diversité des points de vue, on note sur ce sujet un large consensus dans la communauté juive : l’antisémitisme est de retour en Belgique. Le plus souvent (mais pas seulement) du fait de concitoyens musulmans. Cet antisémitisme est virulent et, parfois, violent. Et qu’on ne me taxe pas d’islamophobe parce que je pointe ce racisme particulier. La suceptibilité est grande à ce sujet. Ainsi, à l’ONU, il a été demandé de ne plus utiliser les termes islamisme radical qui mettraient en cause l’Islam. (2)
Comment en est-on arrivé là ? Les opinions divergent sur la nature des causes :
Causes socio-économiques : le manque de perspectives dont souffre une grande partie de la communauté musulmane provoquerait frustration et auto-dévalorisation conduisant à ostraciser l’autre en général et le Juif en particulier. Un phénomène récurrent en temps de crise économique dans le monde en général.
Causes culturelles : L’islam ne ferait pas bon ménage avec la liberté d’expression et pousserait à rejeter les non musulmans. On entend que « juif » est une insulte utilisée dans un grand nombre de familles musulmanes. (3)
Causes politiques : La focalisation sur le conflit du Moyen-Orient fait de celui-ci la matrice de tous les conflits. Dans les faits, il est classé 49è sur la liste des conflits qui en nombre de morts, agitent la planète aujourd’hui. (4). Cette focalisation crée un environnement idéologique propice à stigmatiser les Juifs. Certains médias se livrent d’ailleurs à des amalgames étonnants. Au lendemain des assassinats, aux infos de midi sur la Première (RTBF) on a pu entendre : « 12 morts à Charlie hebdo, 4 morts à l’hyper kasher et 2 bébés morts de froid à Gaza. ». S’agissait-il de suggérer que les 4 Juifs assassinés ne seraient pas innocents? Qu’ils ont sur les mains le sang des bébés gazaouis? De tels rapprochements font de tous les Juifs des coupables désignés et des cibles potentielles.
Des causes psychologiques : Le Juif dont “souffre” le musulman n’existe que comme pur fantasme. L’antisémite (pas seulement musulman, pour le coup) dote le Juif de tous les pouvoirs. Une simple analyse sociologique permet d’établir que dans notre pays, la Belgique, les Juifs sont quasi-absents de la sphère politique, ils sont rares dans les médias, ils ne dirigent ni de grosses industries ni les grandes banques, ils sont totalement absents du monde sportif – là où les rémunérations sont les plus élevées – et peu présents sur la scène artistique si on excepte la littérature, et encore ! Où sont-ils alors ? Dans la classe moyenne, principalement. De moins en moins diamantaires ou commerçants. Parfois médecins, ingénieurs ou avocats, ils ne font pas partie, à quelques exceptions près, des grosses fortunes de Belgique. Ils sont aussi professeurs, assistants sociaux, éducateurs et même demandeurs d’emploi. Le Service Social Juif subvient aux besoins des femmes seules, des familles démunies, des commerçants en faillite, d’ouvriers et employés au chomage, de retraités avec une trop faible pension de retraite…
Victimes ? Pas plus que d’autres. Les Juifs ne portent pas la souffrance en oriflamme. S’ils ont su faire face, au cours de l’histoire, à l’adversité, il faut arrêter d’évoquer la « concurrence victimaire. ». Les Juifs sont au contraire souvent aux côtés de toutes les victimes.
Certains disent aussi que le peuple juif est une simple invention. Mais qu’est-ce qu’un peuple ? Renan le définit comme la possession en commun d’un riche legs de souvenirs. On peut dire que les Juifs en partagent un grand nombre. Assez pour constituer un peuple. Juif, si difficile à définir quand tout va bien et si simple quand ça va mal. Mais nous ne sommes pas candidats à souffrir. Plutôt à rire. L’humour juif n’est-il pas réputé ? Allez, la prochaine fois, je vous raconte une blague !
Mais aujourd’hui les Juifs attendent des gestes forts et concrets.
Récemment encore, Yacob Mahi, enseignant dans une école officielle, revendiquait une fois de plus dans une lettre ouverte publiée dans la presse sa filiation philosophique avec Roger Garaudy, un polémiste condamné à deux reprises pour négationnisme. Il n’a pas été inquiété.
Sans un travail éducatif en profondeur, incluant, par exemple le décryptage des messages de haine véhiculés par certaines chaînes satellitaires arabes, sans un travail avec les familles pour en comprendre et en extirper la violence, sans une lutte déterminée contre les discriminations subies par les jeunes d’origine arabo-musulmane, sans une déontologie du web, sans un vrai sursaut de lucidité des médias, l’antisémitisme a encore de beaux jours devant lui.
(1) Le clip est une création du Collectif Dialogue & Partage avec le soutien de l’UEJB et du Cclj. https://www.youtube.com/watch?v=Cn8O4VPBq9o&feature=share
(2) http://tabletmag.com/jewish-news-and-politics/188927/islamism-islamophobic-berman
(3) Emission Controverses sur RTL le 22 février : https://www.youtube.com/watch?v=tK-XkR3zUOI
(4) http://fr.danielpipes.org/5004/en-nombre-de-morts-le-conflit-israelo-arabe-noccupe-que-le et http://blog.lefigaro.fr/malbrunot/2009/11/conflit-israelo-palestinien-8.html