Aux signataires de l’« appel aux chrétiens à se joindre à l’initiative ‘un bateau français pour Gaza’ », par Benoit Bourgine et André Brombart.
« Pas en notre nom »
Aux signataires de l’« appel aux chrétiens à se joindre à l’initiative ‘un bateau français pour Gaza’ »,
En tant que responsable d’ONG ou d’association d’affiliation chrétienne ou en tant que responsable d’une Église, pasteur ou évêque, vous avez signé le 20 mai 2011 un « appel aux chrétiens à se joindre à l’initiative ‘un bateau français pour Gaza’ ».
Nous sommes deux chrétiens de Bruxelles, un religieux et un théologien laïc, et c’est à ce simple titre que nous voudrions vous exprimer nos questions relatives à cet appel, découvert avec retard. Avec le battage médiatique actuel autour de la « flottille pour Gaza », il n’est plus possible de l’ignorer.
Le point sur lequel nous souhaitons vous interpeller concerne les exigences que comporte le fait d’adresser un tel appel, ouvertement politique, aux chrétiens. C’est en appeler à l’Évangile et à son exigence de justice. Il n’est pas rare que des responsables d’Eglise s’expriment publiquement dans des domaines qui relèvent de la vie sociale et politique, en particulier lorsque des valeurs évangéliques sont mises en cause. Cependant, ils veillent généralement – et c’est heureux – à « rester au-dessus de la mêlée » en évitant de souscrire à des positions de type idéologique ou de s’aligner sur des partis. S’agissant d’un conflit, l’instruction du dossier se doit d’être équitable vis-à-vis des parties en présence ; l’énoncé des motifs doit être respectueux des faits ; la visée ne peut qu’être la poursuite de la paix et le bien-être des populations, sans jamais s’inscrire dans la rhétorique ou la stratégie que développe un belligérant contre un autre. On ne peut prétendre poser légitimement un acte politique sans avoir soigneusement évalué l’ensemble des rapports de forces et d’intérêts qui organisent un champ politique.
L’« Appel aux chrétiens à se joindre à l’initiative ‘un bateau français pour Gaza’ », daté du 20 mai dernier, nous semble enfreindre gravement l’équité et l’impartialité requises d’une action promue au nom de l’Évangile. Même si son style est empreint d’une onction religieuse, même s’il invoque des déclarations de responsables ecclésiaux et va jusqu’à proposer une paraliturgie, ce document exprime l’adhésion pure et simple à une initiative nettement partisane et, en l’occurrence, clairement pro-palestinienne et anti-israélienne. Bien sûr, le texte veille à ménager, en apparence, la chèvre israélienne et le chou palestinien et à prôner la paix et « un avenir commun pour Israéliens et Palestiniens ». Mais qu’en est-il en réalité ? Il se met à la remorque de l’argumentaire pro-palestinien, en attribuant à l’État d’Israël la responsabilité exclusive de la situation à Gaza et en omettant de dénoncer la dictature et la privation des libertés fondamentales que le Hamas impose à sa propre population – le Hamas, pas même cité dans l’appel, alors qu’il est question d’une « démarche politique » en faveur des Palestiniens de Gaza ! Étrange omission.
La flottille se donne comme objectif avoué, non pas de faire parvenir de l’aide humanitaire aux habitants de Gaza, mais de forcer le blocus maritime imposé par Israël. Or, il faut le rappeler, ce blocus est le résultat d’un état de guerre consécutif à la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza. Ce mouvement, instrument de l’Iran et de la Syrie, promeut de manière explicite la destruction d’Israël, et ses idéologues ne manquent pas une occasion de lancer des appels à « tuer tous les Juifs ». Certes, la politique du gouvernement israélien est loin d’être irréprochable, mais quel pays accepterait que des dizaines de roquettes (pudiquement qualifiées d’« artisanales ») soient tirées quotidiennement sur son territoire ? Le droit international, que vous invoquez dans votre document, autorise un Etat en guerre à prendre des mesures restrictives de la circulation maritime (Manuel de San Remo, de juin 1994).
En apportant votre soutien exprès aux organisateurs de la flottille, vous prenez parti de facto pour une mouvance politique qui ne peut accepter l’existence de l’Etat d’Israël et vous ne rendez pas service aux malheureux Palestiniens de Gaza, otages d’une organisation extrémiste et d’un trop long conflit. En invitant, sans vergogne, la communauté internationale à assurer la protection de la flottille (dépêche AFP du 24 juin), le Hamas a révélé clairement le vrai visage de cette entreprise. N’éprouvez-vous pas quelque gêne à vous faire les « alliés objectifs » de cette organisation ? La responsabilité du gouvernement du Hamas n’est-elle pas à dénoncer au moins autant que celle du gouvernement israélien dans l’absence de solution négociée ? Pourquoi ne pas en faire état et ignorer sciemment cette lourde responsabilité historique à l’égard du peuple palestinien ? La flottille est destinée à faire pression sur le gouvernement israélien. Pourquoi prendre ainsi parti et ne pas engager une action qui dénonce symétriquement l’hostilité guerrière du Hamas vis-à-vis d’Israël, cause du blocus, et le régime liberticide sévissant à l’encontre des Palestiniens de Gaza ? La paix et la justice seraient-elles des exigences à opposer à une seule partie ?
S’agissant de la situation humanitaire à Gaza, les observateurs indépendants, comme récemment encore l’adjointe de la délégation de la Croix-Rouge dans la Bande de Gaza[1], s’accordent pour dire qu’elle ne relève pas d’une situation d’urgence. Certes, le chômage y est endémique et l’économie désorganisée, mais les besoins essentiels sont assurés grâce à une aide publique internationale qui privilégie Gaza et des Territoires Palestiniens sur toutes les autres causes humanitaires dans le monde. Selon le rapport d’Oxfam France « Baromètre de la protection des civils 2010 »[2], pour ce qui regarde l’aide publique au développement venant de la France, « un Congolais a reçu 0,49 dollar en 2008, un Irakien près de 11 dollars, un Palestinien 20 dollars » (p. 45). La France donne donc 40 fois plus à un Palestinien qu’à un Congolais (RDC). Quant à l’aide publique au développement de la communauté internationale considérée de manière globale, le rapport indique qu’« en comparant la proportion d’APD (Aide publique au développement) par habitant, on s’aperçoit que les Palestiniens reçoivent le financement le plus important par habitant : plus de 680 dollars par personne, alors qu’un congolais reçoit 25 dollars. » (p. 47). On peut donc en conclure que, globalement, « un Congolais a bénéficié de 27 fois moins d’aide au développement qu’un Palestinien » (p. 45). Le Hamas s’emploie d’ailleurs à perpétuer ce sous-développement, dont il fait une arme politique. À cela s’ajoute l’ouverture désormais permanente de la frontière avec l’Egypte, laquelle, il vaut la peine de le rappeler, imposait également un blocus à l’enclave de Gaza. Enfin, si le but de la flottille était réellement humanitaire, elle accepterait de livrer sa cargaison par les voies terrestres prévues pour cela. Le Ministère français des Affaires Etrangères vient d’ailleurs d’inviter ses ressortissants à renoncer à forcer le blocus, en affirmant « que la situation a évolué à Gaza depuis l´an passé ». Et le Quai d’Orsay ajoute : « Certes, l´allègement du blocus annoncé par Israël en juin 2010 n´est pas suffisant, mais il va dans le bon sens » et conclut que « l´acheminement par voie terrestre reste le moyen le plus sûr pour faire parvenir l´aide humanitaire aux Gazaouis ».
En réalité, le véritable objectif de la flottille est de noircir l’image internationale de l’Etat d’Israël et, pas du tout de travailler à la paix et au dialogue. Pour rappel, les participants à la première flottille, que vous n’hésitez pas à qualifier « flottille de la liberté », qui affichaient, comme ceux d’aujourd’hui, des intentions des plus pacifiques, ont démontré leur détermination à en découdre par la violence. Des images ont montré que les soldats israéliens qui descendaient sur le pont du navire pour inspecter sa cargaison étaient immédiatement frappés à coups de barres de fer et de couteaux, ce qui a provoqué la riposte tragique que l’on sait. Sur les intentions des organisateurs de la flottille de 2010, en effet, des reportages de journalistes indépendants ont enquêté dans le respect de la règle du contradictoire – toutes les parties ont été dûment entendues. Des éléments précis et inquiétants furent mis au jour, notamment les liens étroits avec des mouvances extrémistes de gauche et de droite, qui ne sont pas les alliés les plus sûrs, l’histoire l’enseigne, lorsqu’on embouche la trompette humanitaire et que l’on déclare défendre les libertés fondamentales. Voir en particulier les reportages anglais (reportage diffusé le 16/8/2010 – BBC one, télévision publique britannique dans la célèbre émission d’investigation : ‘Panorama’) et allemand (reportage diffusé le 7/6/2010 – SWR : Südwestrundfunk – télévision publique bavaroise dans l’émission : ‘Report Mainz’) suivants[3] :
Nous osons espérer qu’avant de donner votre caution à la réédition de l’entreprise de la flottille pour Gaza, ou plutôt exactement d’appeler à la mobilisation des chrétiens pour cette réédition, vous avez pris connaissance de ces éléments, et notamment des réponses des officiels du Mavi Marmara faites aux officiers israéliens, chargés d’arraisonner le navire: « Retournez à Auschwitz ! » Est-il raisonnable de penser que les activistes de la seconde flottille seront plus pacifiques ?
Enfin – et c’est, à nos yeux, l’aspect le plus préoccupant de votre appel – en prenant le parti de la flottille, vous contribuez à renforcer le sentiment anti-israélien parmi les chrétiens de France. N’oubliez pas la responsabilité historique majeure de l’Eglise dans la persécution du peuple Juif. Ne perdez pas de vue la persistance d’un fond d’antijudaïsme et même d’antisémitisme chez bon nombre de personnes qui se disent chrétiennes, à qui la critique sans retenue de l’Etat d’Israël offre un alibi des plus confortables. À ce propos, outre l’omission du Hamas dans la présentation de la situation de Gaza et du blocus, une autre omission de votre appel est à noter : Guilad Shalit, un homme – un Français – enlevé et détenu depuis cinq ans par le Hamas, à qui est refusé tout contact avec le monde extérieur, en violation flagrante, pour le coup, avec le droit international et la plus élémentaire humanité. Étrange omission, à la vérité et, dans le cadre d’une démarche « politique », une occasion manquée d’équilibrer vos revendications en défendant la cause de la libération du Franco-israélien, et dans l’attente de ce jour, de presser le respect des conventions internationales à son endroit, à savoir la possibilité de recevoir des visites de la Croix-Rouge.
Non, vraiment, votre soutien à cette entreprise ne nous paraît guère défendable. Mgr Jean-Pierre Ricard était certainement mieux inspiré lorsque, au retour d’un voyage en Terre Sainte, il écrivait, dans son Message aux catholiques de France : « Après avoir écouté les uns et les autres, nous avons mieux perçu que les réalités étaient très complexes. Ne tombez pas dans des analyses trop simplistes ou dans des partis pris. Ils durcissent les cœurs, empêchent le dialogue vrai et la recherche de solutions durables » (La Documentation Catholique, n° 2284 du 19 janvier 2003, p. 108-109).
Un dernier mot sur une phrase en apparence innocente : « Rompre le mur d’indifférence » ou plus loin « sortir de l’indifférence ». L’expression que vous employez fait sourire lorsqu’on la met en relation avec les chiffres produits par le rapport d’Oxfam déjà cité[4] s’agissant de la préoccupation des médias, de la diplomatie française et internationale, de l’action de la coopération pour le développement et de l’activité des commissions de l’ONU. Ces chiffres dénotent une focalisation quasi-obsessionnelle sur le conflit israélo-palestinien – sans commune mesure avec son impact réel sur les populations – alors que, chaque jour, partout dans le monde, des régimes bafouent délibérément la dignité humaine. Avec le printemps arabe, la thèse selon laquelle le conflit israélo-palestinien serait le nœud des conflits planétaires et la cause du sous-développement dans les pays arabes a vécu. C’est donc une tout autre question qu’impose le respect des faits : Pourquoi une telle obsession ? Pourquoi tant de haine contre Israël, cachée sous les meilleures intentions ?
Pourquoi faut-il que des responsables d’associations chrétiennes et de communautés ecclésiales se laissent entraîner dans pareille galère idéologique ?[5] Aussi, permettez-nous de terminer sur une question. Comptez-vous lancer semblables appels en faveur de causes dont l’urgence humanitaire est sans commune mesure avec la situation de Gaza ? À commencer par les massacres de populations désarmées actuellement en cours au Soudan ou en Syrie, la famine qui s’annonce en Afrique de l’est, mais aussi les très nombreuses (plus de 700 par an) conversions forcées à l’islam de femmes chrétiennes au Pakistan, enlevées pour être mariées contre leur gré à des musulmans, ou encore la situation des Coptes sous le coup des attaques en Haute-Egypte. Ce jour-là, nous répondrons positivement à votre appel.
Il semble clair à présent que la flottille est sur le point d’être arraisonnée avant de provoquer les violences auxquelles la précédente flottille avait donné lieu. On peut s’en réjouir. Reste pour nous, une énigme, une blessure, une inquiétude, celle de voir nos sœurs et nos frères chrétiens appelés par des responsables ecclésiaux et des organisations chrétiennes à soutenir un combat qui n’est pas celui de la paix et à embarquer dans une flottille qui n’est pas celle de la liberté selon l’Évangile. Il ne suffit pas de dire : « Paix ! » pour la construire effectivement. Il ne suffit de citer la lettre de l’Évangile pour en épouser l’esprit. Il ne suffit pas de choisir un camp contre un autre pour avoir raison. Il vaut mieux aider les belligérants à créer les conditions d’un retour au dialogue. La moitié de la vérité n’est pas la vérité. En choisissant une version partisane des faits et en passant sous silence l’autre point de vue, l’appel aux chrétiens aggrave de fait l’inimitié entre belligérants et contribue à importer dangereusement cette rancœur dans nos pays, dont l’impact sur l’antisémitisme ne saurait être ignoré. Il n’est pas légitime de baptiser l’activisme pro-palestinien en combat évangélique auquel tous les chrétiens devraient se rallier. Appeler ainsi les ‘chrétiens’ à un tel combat « politique » est, au mieux, une naïveté due à une information incomplète sur les faits, l’histoire ou les forces en présence, au pire, une hypocrisie. Ne mêlez pas le beau nom de ‘chrétien’ à des combats partisans.
S’il vous plaît, pas en notre nom.
M. Benoît Bourgine P. André Brombart
[1] http://www.israel7.com/2011/04/%C2%AB-il-n%E2%80%99y-pas-de-crise-humanitaire-a-gaza-%C2%BB/
Et sur un point de vue global sur la situation la plus récente on peut consulter : http://www.nytimes.com/2011/06/26/world/middleeast/26gaza.html?_r=1
[3] Pour l’original sans traduction française de ces émissions, voir pour la BBC :
http://www.youtube.com/watch?v=SXrzF0IOQYE
Et pour la SWR :
http://www.swr.de/report/-/id=233454/mpdid=6636724/nid=233454/did=6636724/jzjuqw/index.html
[4] Pour rappel : http://www.oxfamfrance.org/IMG/pdf/Barometre_Protection_civils_2010_Oxfam-France_version-compressee.pdf
[5] Nous sommes frappés de l’importance prioritaire donnée à ces appels notamment sur les pages d’accueil des sites de Pax Christi, de Chrétiens de la Méditerranée et du CCFD.